vendredi 5 octobre 2018

L’intelligence artificielle et la disparition de l’homme






Michel Onfray n'a pas digéré sa mise à l'écart par France Culture, et semble y voir la main d'Emmanuel Macron. Sa riposte, dans une lettre ouverte au président de la République, publiée le 4 octobre sur son site personnel, est cinglante. D'aucuns diront même excessive, voire suicidaire, tant le philosophe se lâche et enfreint toutes les règles de la bienséance. Mais, selon Onfray, c'est Macron, par son attitude, qui autorise, voire appelle ce ton hautement irrévérencieux.

L’intelligence artificielle est certainement le thème scientifique qui préoccupe le plus les Occidentaux. Pour preuve, l’apparition récurrente d’intellectuels et de scientifiques conviés à parler de l’intelligence artificielle dans des contextes pluriels. Dans les années 1980, la mode était au chaos, aux fractales et à l’effet papillon qu’il était indispensable de sortir lors d’un dîner en ville ou sur un plateau télévisé. Parler de l’effet papillon, le placer dans une conversation, et vous passiez pour un savant homme à défaut d’être honnête. Les fractales servaient de prétexte esthétique pour illustrer les pochettes des disques de techno, à l’image des figures kaléidoscopiques et de l’art néo-nouveau présents sur les vinyles de psyché dans les sixties. Les fractales sont passées de mode. Le thème dominant des années 1990 fut la génétique, le séquençage du génome et les promesses, non tenues, de soigner les maladies rares ou dégénératives. Dans les années 2000, les trous noirs et les multivers ont bénéficié d’une honorable notoriété médiatique partagée avec le boson de Higgs et récemment les ondes gravitationnelles. Après la crise financière de 2008, l’intelligence artificielle s’est déployée dans les sphères médiatiques aussi vite que la croissance des réseaux sociaux et des applications sur smartphone.

L’intelligence artificielle liée aux capteurs numériques impacte de nombreux secteurs de la société et non des moindres. Elle constitue un outil pour produire une économie nouvelle basée sur le marché des données. Elle est un puissant instrument pour le contrôle des choses et surtout des hommes. De ce fait, elle est un moyen pour façonner des sociétés policières visant à contrôler les citoyens, les surveiller, les insérer dans un système de calcul pour mieux les asservir et les manipuler. Un congrès s’est tenu récemment dans la capitale à l’initiative de Cédric Villani, en marche pour diriger la rédaction d’un rapport sur l’intelligence artificielle avec la participation des meilleurs spécialistes. Dans un tout autre registre, Noah Yuval Harari, intronisé penseur le plus important du moment, consacre à l’IA nombre de chapitres dans ses deux derniers ouvrages. Si l’intelligence artificielle n’est pas un sujet de conversation pour les participants de l’amour est dans le pré, en revanche elle figure en bonne place dans les articles partagés sur le réseau professionnel LinkedIn.

Selon les observateurs bien placés, les deux places fortes de l’intelligence artificielles sont la Californie et la Chine. La première est connue pour abriter les recherches de pointe en la matière, les activistes du transhumanisme et trois des géants du numérique formant le GAFA avec Amazon sise à Seattle, comme du reste Microsoft. La Chine développe l’intelligence artificielle dans plusieurs mégalopoles du numérique et maintenant, possède une large expérience dans l’utilisation du numérique pour contrôler son territoire et ses populations. L’Europe reste perplexe, en s’efforçant de croire qu’en suivant un axe Londres, Paris, Zürich, elle marchera vers son destin intelligent et trouvera son salut numérique dans la croissance intelligente.

Le statut ontologique de l’intelligence artificielle doit être questionné faute de quoi les sociétés devront se plier à cet ensemble d’outils dont on peut penser qu’il recèle des horizons idéologiques dangereux. Comme il y en eut après 1918, avec le matérialisme historique comme ressort du stalinisme et le biologisme racial comme ressort du nazisme. Peut-on déduire une sorte de matérialisme numérique et un biologisme artificiel mettant au centre de la société le cerveau humain en bonne marche, comme en d’autres temps, le biologisme racial avait comme ressort la puissance mécanique du corps humain ? Ces tendances sont perceptibles mais avec un bas bruit. Une autre tendance réside dans le matérialisme numérique comme axe de la société, de la politique, avec la croissance historique comme seul et unique salut de l’humanité.

Harari a cerné l’une des menaces majeures liée à l’IA qui pourrait à terme remplacer nombre de travailleurs et engendrer de ce fait des populations d’inutiles. Que feront les autorités de ces inutiles, les placeront-elles dans des camps ? Sans être pessimiste, une autre option est envisageable selon Harari qui paraît naïf à bien des égards en imaginant que l’IA et le numérique puisse façonner une société de partage en étant accessible à tous pour le bien collectif. La démocratie politique, ce n’est pas rendre accessible pour tous les moyens mais de permettre à tous de décider comment vivre ensemble en discutant, délibérant et pensant. Le numérique ne va pas de pair avec la démocratie. Dès 1970, Habermas avait anticipé le schisme entre une société centrée sur le langage du sens et des finalités humaines et une autre centrée sur la technique et les moyens.

Une chose est certaine, l’IA n’a rien d’un effet de mode car elle est amenée à interférer de plus en plus avec le quotidien des hommes. Dans la variante « deep learning », l’IA est capable de simuler des processus d’essais et d’erreur comme le fait le cerveau humain dans les opérations techniques ou mentales se perfectionnant avec le retour sur expériences. Elle parvient à effectuer des diagnostics médicaux aussi bien que le corps médical. La médecine chinoise traditionnelle sera-telle abandonnée ? L’homme va-t-il disparaître ? Non, mais disons que l’homme tel qu’on le connaît actuellement risque de s’effacer telle une figure dessinée sur le sable face à la marée montante. Des études ont montré que l’usage des écrans plats favorisait la génération de jeunes gens inaptes aux rapports sociaux conventionnels avec des visages et un langage. Ce fait n’a rien d’étonnant mais peut-on généraliser à toute une génération ?

On l’aura compris, ces notes n’ont pas vocation à donner des réponses mais ouvrir des questions. C’est le propre d’un chemin philosophique que de cheminer sur des questions. Ce qui est la meilleure stratégie pour vivre sans se laisser manipuler par les donneurs de leçon et de réponse qui façonnent les radicalisés de demain.

Avec le numérique et l’intelligence artificielle, l’homme peut disparaître. A vous de réfléchir et de méditer sur cette question. Pour configurer cette interrogation, une étude transversale est indispensable. Espérons que les éditeurs et les médias sauront mettre en avant ceux qui offrent un regard perçant pour ne pas dire stratosphérique sur la question, au lieu de publier les « copains » des chapelles universitaires.

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